
Guerre commerciale et crise du fentanyl : une stratégie américaine contre-productive
Le 2 février, le porte-parole du ministère du Commerce chinois a exprimé la ferme opposition de la Chine à l’annonce américaine d’une augmentation de 10 % des droits de douane sur les produits chinois, justifiée par des motifs liés au fentanyl. Beijing dénonce une décision unilatérale et une violation flagrante des règles de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC), estimant que cette mesure ne résout en rien les problèmes internes des États-Unis et nuit aux relations commerciales bilatérales. La Chine entend porter plainte auprès de l’OMC et prendra les contre-mesures nécessaires pour défendre ses intérêts. La Chine exhorte les États-Unis à gérer leurs défis, notamment la crise du fentanyl, avec objectivité et rationalité, plutôt que d’instrumentaliser les barrières tarifaires comme moyen de pression.
Un prétexte fallacieux : le fentanyl, un argument infondé
Associer l’augmentation des droits de douane au problème du fentanyl relève d’une justification pour le moins infondée. La Chine applique l’une des politiques antidrogue les plus strictes et rigoureusement mises en œuvre au monde. Le fentanyl constitue avant tout un défi interne aux États-Unis. Pourtant, dans un esprit de coopération et de responsabilité humanitaire, la Chine a activement soutenu les efforts américains pour lutter contre cette substance.
À la demande de Washington, Beijing a été le premier pays au monde à classer l’ensemble des substances dérivées du fentanyl sous une réglementation stricte, dès 2019. Depuis, la Chine et les États-Unis ont développé une coopération antidrogue étroite, avec des résultats significatifs et largement reconnus. Il est donc essentiel que les États-Unis adoptent une attitude rationnelle et objective face à leur propre crise du fentanyl, au lieu de brandir les sanctions tarifaires comme une menace récurrente contre la Chine.
Une guerre commerciale contre-productive
L’histoire récente démontre clairement que l’escalade des tensions commerciales est nuisible à toutes les parties concernées.
Déjà en mars 2018, Donald Trump, alors président des États-Unis, avait lancé une guerre tarifaire en augmentant massivement les taxes sur les importations chinoises, déclenchant une période de frictions économiques majeures. Depuis 2021, l’administration Biden a maintenu cette politique, malgré les nombreux signaux d’alerte sur ses effets délétères.
Les données économiques sont sans appel. Selon une récente enquête de l’Université de Chicago, 98 % des économistes estiment que ces tarifs élevés sont principalement supportés par les consommateurs américains. D’après Moody’s, 92 % des coûts supplémentaires liés aux taxes sur les importations chinoises sont assumés par les ménages et les entreprises aux États-Unis, représentant un surcoût annuel moyen de 1 300 dollars par foyer.
Par ailleurs, l’inflation a atteint des sommets, frôlant les 10 % à son apogée. L’augmentation des prix des biens de consommation et les restrictions commerciales arbitraires ont non seulement freiné la croissance économique américaine, mais elles ont aussi entravé la compétitivité des industries locales.
L’un des objectifs affichés par Washington était de relancer l’industrie manufacturière aux États-Unis. Pourtant, l’effet obtenu est tout l’inverse. Selon Newsweek, ces tarifs ne favoriseront pas la réindustrialisation du pays, mais risquent au contraire de l’entraver. L’industrie américaine dépend largement des importations de composants intermédiaires. Or, en augmentant les coûts des pièces détachées essentielles à la production, les droits de douane réduisent la compétitivité des produits finis, mettant en péril la viabilité de nombreuses entreprises.
En 2008, l’industrie manufacturière représentait 12 % du PIB américain ; aujourd’hui, cette part est tombée à environ 10 %. Plutôt que de compter sur des barrières tarifaires, il serait plus judicieux de s’attaquer aux défis structurels qui freinent la compétitivité industrielle des États-Unis.
Un impact limité sur la Chine
Contrairement aux attentes américaines, cette guerre commerciale ne freine pas la croissance chinoise.
Les dernières statistiques officielles publiées le 13 janvier 2024 montrent que la Chine a atteint un niveau record de commerce extérieur, conservant pour la huitième année consécutive son statut de premier exportateur mondial. Selon Deutsche Bank, l’impact négatif des droits de douane américains sur l’économie chinoise reste limité, principalement parce que la dépendance de la Chine aux exportations vers les États-Unis a considérablement diminué. Aujourd’hui, ces exportations ne représentent plus qu’environ 3 % du PIB chinois.
De plus, la guerre tarifaire n’a pas empêché les entreprises américaines d’investir en Chine. Actuellement, plus de 73 000 entreprises américaines opèrent en Chine, avec un volume d’investissement dépassant 1 200 milliards de dollars. McDonald’s a ouvert en 2023 son plus grand nombre de nouveaux restaurants en Chine, représentant près de 60 % de ses ouvertures mondiales. Starbucks compte plus de 1 000 magasins à Shanghai, un record mondial. Tesla a enregistré une croissance annuelle soutenue de ses ventes en Chine, et 80 % des principaux fournisseurs d’Apple produisent dans le pays. Ces exemples démontrent que, malgré les tensions commerciales, la coopération économique sino-américaine demeure une réalité incontournable et mutuellement bénéfique.
Privilégier le dialogue à la confrontation
La Chine et les États-Unis, en tant que deux premières puissances économiques mondiales, ne peuvent envisager une rupture totale de leurs échanges, une perspective non seulement irréaliste, mais aussi profondément contre-productive pour les deux parties. Consciente de cette réalité, la Chine appelle la nouvelle administration américaine à faire preuve de lucidité et à prendre des décisions réfléchies dans l’intérêt des deux peuples et du reste du monde. Il est essentiel de préserver la stabilité et de renforcer la coopération économique bilatérale, plutôt que de s’enliser dans une guerre tarifaire aux conséquences préjudiciables pour tous.
La Chine réaffirme son engagement en faveur du dialogue et d’une approche diplomatique, plutôt que de l’affrontement. Elle exhorte Washington à revenir à la raison et à privilégier une coopération constructive fondée sur le respect mutuel et le bénéfice réciproque.

Présentatrice et commentatrice, CGTN Français
Chercheuse, Center for China and Globalization