
Dr. Fabrice Ntsa Onana : « Les entreprises chinoises sont parmi les meilleurs du monde et la qualité des infrastructures construites par elles, s’impose même au profane. »
Spécialiste des questions Chine-Afrique, l’Historien s’explique sur les Accords de Partenariat Public Privé Chine-Cameroun, ainsi apprécie la qualité des infrastructures routière et autoroutière issues de ces conventions.
- Dans l’une de vos sorties médiatiques, vous aviez dit : « les chinois ont rendu à l’Afrique, sa dignité dans les relations internationales ». De quelle dignité parlez-vous ?
Oui effectivement et il faut comprendre cette restitution de la dignité de l’Afrique d’un quadruple point de vue. La présence chinoise en Afrique a premièrement donné la possibilité de choix dans un espace qui était alors totalement dominé par une présence infructueuse des colons d’hier. Désormais il y’a une alternative, l’on peut choisir entre deux offres clairement opposées. Deuxièmement, lorsque son portefeuille l’a permis, la Chine populaire s’est investie efficacement, contrairement aux partenaires historiques, dans le développement des Etats africains. Les infrastructures socio-économiques à l’instar des routes, autoroutes, barrages hydroélectriques, ports, stades de football et autres pullulent dans les quatre coins du continent. Troisièmement, l’ancrage de la présence chinoise en Afrique a fini par déclencher le processus de désacralisation de l’hégémonie occidentale en Afrique. Les masses africaines et une certaine classe politique font preuve aujourd’hui d’une vaillance pour dénoncer les tares et incongruités des partenaires dits historiques. Je prends pour preuve ce sentiment anti-français qui s’exprime de plus en plus dans les rues africaines. Les cas malien et tchadien tout récemment sont là pour le confirmer. Il faut enfin lire la dignité retrouvée dans ce respect et cette considération dont jouit l’Afrique aujourd’hui. Comme si elles la découvraient toutes, de nombreuses puissances mondiales sont dans des opérations de séduction sur le continent noir. Un statut de courtisé qui lui convient bien.
- Entre 2000 et 2022, soit 22ans déjà, les Accords de Partenariats entre la Chine et le Cameroun continuent à fructifier. Ainsi, le Cameroun s’en sert pour accomplir sa politique des Grandes Réalisations. Quelle lecture faites-vous de ces Accords bénéfiques aux deux partenaires ?
Depuis la normalisation de leurs relations diplomatiques le 26 mars 1971, la Chine et le Cameroun entretiennent des relations mutuellement bénéfiques par le biais de multiples accords de partenariat multisectoriels. Le Cameroun a pu bénéficier sur le plan socioéconomique d’une pléthore d’infrastructures tels que le Palais des Congrès ou le barrage de Lagdo pour ne citer que ces deux-là. Et justement, dans le cadre des derniers programmes politiques du Président de la République S.E Paul Biya à savoir les grandes ambitions, les grandes réalisations et les grandes opportunités en cours, l’on dénombre de nombreuses autres réalisations à l’instar du port en eau profonde de Kribi, l’autoroute Yaoundé-Nsimalen ou encore l’autoroute Douala -Yaoundé en cours de réalisation. Par ailleurs, la contrepartie chinoise est bel et bien notable. Il s’agit par exemple de l’accès à certaines ressources naturelles, de l’exécution de nombreux marchés ou encore de l’assurance de la voix camerounaise sur la scène internationale. La lecture qu’il faut donc faire par rapport aux accords que vous évoquez est que la Chine Populaire est un partenaire fidèle et efficace du Cameroun. Elle est restée attachée à son principe du gagnant-gagnant.
- Certains projets des constructions routière et autoroutière du Cameroun comme vous l’avez déjà souligné plus haut, ont été réalisés avec l’appui financier du Gouvernement Chinois et les entreprises adjudicataires de ces marchés sont aussi chinoises. Que dites-vous de ce mode de déploiement de la Chine qui se situe dans sa politique de : « Une ceinture une route » ?
Vous faites certainement allusion à l’autoroute Yaoundé – Nsimalen, celle en construction devant relier Yaoundé à Douala, le port en eau profonde de Kribi et les autres en contexte de l’initiative la ceinture et la route, sans pour autant oublier les multiples autres infrastructures antérieures à cette initiative, construites chez nous par la Chine populaire depuis des décennies. Là, il faut évoquer en fait l’attachement de l’empire du Milieu à sa diplomatie du Béton et du Chéquier. Le déploiement chinois en Afrique pendant les soixante dernières années est un champ fertile d’enseignements. Durant cette période, les communistes chinois ont matérialisé leur présence sur les plans politique, économique et socioculturel. La multiplicité et la régularité de la construction des infrastructures économiques et sociales, couplées à l’octroi ininterrompu de colossales sommes d’argent commandent la prise en compte des diplomaties du Béton et du Chéquier, usitées par l’Empire du Milieu. Avec un fondement marxiste profond, ces diplomaties du Béton et du Portefeuille sont un élément essentiel de la diplomatie chinoise en Afrique et même dans le monde. Cette attitude n’est donc pas nouvelle dans le cadre de la Belt and Road Initiative. La particularité de ‘’la ceinture et la route ‘’ réside sur l’immensité et la grandeur de la tâche. Sinon, le projet est une facette, peut-être la plus importante jusque-là de la diplomatie du Béton et du Chéquier affectionnée par Pékin et qui a considérablement construit le Cameroun et toute l’Afrique. Il faut justement regretter la non-prise en compte de nos entreprises locales dans la réalisation de ces marchés chez nous et les blocages au niveau du transfert des technologies.
- Dr Fabrice Onana Ntsa, la première infrastructure autoroutière (Yaoundé-Nsimalen) du Cameroun est une réalisation de la Chine. Comment appréciez-vous l’ouvrage ?
L’autoroute Yaoundé – Nsimalen est l’un des fleurons justement de la relation Chine – Cameroun, en contexte de Belt and Road Initiative précisément. Construite par la China Communication Construction Company, cette infrastructure longue de 11 km relie la capitale politique du pays à la localité de Nsimalen qui abrite, comme vous le savez, l’aéroport international éponyme. J’ai déjà par deux fois pu visiter l’ouvrage. En profane que je suis en la matière, j’ai tout de même apprécié la qualité de l’infrastructure. Son impact socio-économique est tout aussi certain. L’autoroute a réduit le trajet entre Yaoundé et Nsimalen à moins de 20 minutes pourtant on y mettait près d’une heure de temps. On pourra éventuellement noter le développement des zones d’activités sur l’axe menant à l’aéroport.
- Allons un peu sur les autoroutes Kribi-Lolabé et les 60 premiers kilomètres de Yaoundé-Douala où vous auriez déjà fait un tour dans le cadre de vos recherches. Comparativement aux infrastructures du genre qu’on aurait vu ailleurs, les entreprises chinoises ont-elles réussi ces ouvrages?
Là encore c’est une question d’expert en Travaux Publics. Ce qu’il faut dire tout de même c’est qu’on ne peut pas parler de la Politique Africaine de la Chine dans son approche holistique en ce 21éme siècle sans évoquer les sociétés et entreprises chinoises comme acteur, dont le rôle s’est progressivement accru ces dernières années. Leur prégnance dans la scène économique africaine dans les chantiers de construction d’infrastructure, d’exploitation de ressources naturelles ou dans les activités commerciales, les confirment comme des acteurs montants du partenariat Chine-Afrique. On peut par exemple citer au Cameroun HUAWEI qui opère dans le domaine des télécommunications ; La Shanxi Construction Engineering Corporation (SXCEC) qui a réalisé les travaux du Palais des Sports de Warda et le parachèvement de l’immeuble Ministériel n° 1 de Yaoundé ; la China Harbour Engineering Company LTD (CHEC) qu’on a vu à l’œuvre au port en eau profonde de Kribi ; la CGCOC qui s’occupe de résoudre le déficit d’eau potable dans certaines localités ; La China International Water and Electric Group, CWE qui a réalisé les travaux de construction du barrage de Lagdo ou encore la China Communication Construction Company que nous avons évoqué plus haut. Ceci n’est qu’un éventail. Il y en a plus. Je dois rappeler que les entreprises chinoises sont parmi les meilleurs du monde et la qualité des infrastructures construites par elles s’impose même au profane.
- Vous aviez coutume de dire : « il est claire que la politique africaine de la Chine est moins agressive, moins compromettante et plus féconde ». Que mettez-vous dans « plus féconde » ?
La multiplicité des infrastructures made in China et la place occupée par l’Empire du Milieu dans la sphère socio-économique africaine sont les éléments de cette fécondité. Dans une période relativement courte par rapport à la présence des partenaires traditionnels, et même avec des moyens limités, la Chine s’est mise tôt au côté de l’Afrique dans la quête de son développement. Les résultats parlent d’eux-mêmes : les stades de football, les barrages hydroélectriques, les routes et autoroutes, les ports, les ponts, les approvisionnements en eau potable, divers aménagements et autres battisses portent bien l’empreinte de la Chine populaire dans les quatre coins du Cameroun. Il est peut-être utile de rappeler aussi que la Chine est le plus important partenaire commercial de l’Afrique aujourd’hui. Au cours des neuf premiers mois de 2021, le commerce bilatéral aurait atteint 185 milliards de dollars soit une augmentation de 38,2% en glissement annuel et représentant le niveau le plus élevé de l’histoire sur la même période selon les données du ministère chinois du commerce. Pour leur part, les investissements directs de la Chine en Afrique se sont élevés à 2,59 milliards de dollars, en hausse de 9,9% sur une base annuelle, dépassant le niveau enregistré pour la même période en 2019, toujours selon les autorités chinoises. Pékin est également devenu le premier bailleur de nombreux pays africains comme le Cameroun. Le dernier sommet du FOCAC tenu à Dakar l’année dernière a permis d’apprécier davantage la fécondité de la présence chinoise sur le continent africain. C’est de la bouche la plus autorisée que nous sont venues les promesses pour la suite de l’idylle sino-africaine : en matière agricole, le Président Xi Jinping a indiqué que 10 projets seraient lancés et 500 experts agricoles chinois seraient envoyés en Afrique. Il a évoqué neuf autres projets qui seront mis en route dans le cadre de la santé, l’innovation digitale, le développement vert, la formation, les domaines culturels, entre autres. Il sera créé un centre yuan transfrontalier Chine-Afrique qui ouvrira aux institutions financières africaines une ligne de crédit de 10 milliards de dollars. Le Président chinois a aussi révélé que les entreprises de son pays seront incitées à investir pas moins de 10 milliards de dollars en Afrique au cours des trois prochaines années. S’agissant de l’aide relative à la pandémie actuelle de la Covid-19, le Président Xi a promis un milliard de doses de vaccins supplémentaires dont 600 millions sous forme de dons et 400 millions sous d’autres formes comme la mise en place d’unités de production de vaccins. Le volet sécuritaire s’est enfin invité dans le cadre de ces échanges lorsqu’Aissata Tall Sall a souhaité que la Chine apporte son soutien dans la lutte contre l’insécurité au sahel où plusieurs pays sont déstabilisés par les activités des groupes djihadistes. Avec autant de réalisations et de promesses pour l’avenir, il faut se plaire prudemment de l’amitié chinoise et en profiter surtout pour avancer vers notre développement socio-économique.
Interview menée par Gerard Njoya & Sandrine Namen