
Historicité de l’engagement technologique chinois au Cameroun
A l’occasion du 54ème anniversaire de la coopération Chine-Cameroun célébré ce 26 mars 2025, Actu Chine-Cameroun a ouvert son magazine au Dr. Auxence Augustin Koa, Enseignant Chercheur à la faculté des sciences juridiques et politiques de l’Université de Bertoua, Cameroun, recevant sa tribune sur l’ « Historicité de l’engagement technologique chinois au Cameroun ». Dans son article scientifique, M. Koa présente le décollage frustre des relations sino-camerounaises relevant l’engagement technologique chinois gestatif et subversif en vers le Cameroun ; la réorientation vertueuse des sens sino-camerounais de relations, l’évergétisme chinois et l’insertion technologique progressive dans le contenu des relations de coopération bilatérales Chine-Cameroun ; l’hibernation des relations sino-camerounaises et l’inscription technologique chinoise latente et enfin ; la redynamisation des relations sino-camerounaises qui touche les ambitions développementalistes et l’engagement technologique chinoise au Cameroun.

Quatre séquences historiques vont rythmer le cours des relations sino-camerounaises. Séquences en parallèle desquelles, il est possible d’effectuer une lecture évolutive du déploiement technique et technologique chinois au Cameroun.
a- 1960-1970 : décollage frustre des relations sino-camerounaises et engagement technologique chinois gestatif et subversif
Malgré l’état embryonnaire de son industrie de défense, l’armement des mouvements de libération, constitue la forme gestative d’insertion et d’inscription de la technologie chinoise au Cameroun. Il appert donc qu’en plus des armes, étaient offertes par les instructeurs chinois à titre de formations aux mouvements de libération (dont celui de l’UPC) non seulement, les techniques et les technologies de mobilisation politique et d’endoctrinement mais aussi, des enseignements militaires (Bouzanda ; 2012). Par ces manières de soutenir, il faut voir une réelle volonté chinoise de faire circuler et de transmettre de manière privilégiée ses savoirs et savoir-faire techno-militaires. En effet, en procurant armements, entrainements, enseignements militaires et un appui techno-logistique aux mouvements nationalistes africains en général et à l’UPC entre les années 60 et 70, la Chine voulait s’assurer un contrôle para-militaire continu des révolutions africaines. L’objectif pour les dirigeants chinois, était donc de structurer dans les rangs des mouvements de libération nationale comme l’UPC, des formes d’auto-détermination et d’auto-défense, nécessaires pour lutter contre l’oppression coloniale.
b- 1970-1980 : réorientation vertueuse des sens sino-camerounais de relations, évergétisme chinois et insertion technologique progressive.
Avec l’accession de la Chine à l’ONU en Mars 1971, Yaoundé va sacrifier Taipei (Taiwan) et Pékin va relâcher son appui au mouvement Upéciste. Incidemment, l’on note un réchauffement des relations entre Yaoundé et Pékin. Les visites du président Amadou Ahidjo en Chine en 1973 et en l977 constituant ainsi, des moments clé de ce retour chinois à la légalité et l’orthodoxie diplomatiques (Kombi Mouelle ;1986). Si ce retour à la normal provoque le retrait de nombre d’équipes de techniciens agricoles taïwanais, il correspond également à une forme de passage de témoin prudent à la Chine, d’importants programmes techniques agricoles que Taïwan avait mis en œuvre après l’indépendance au Cameroun. Sans doute à cause de la hantise persistante du soutien passé de la Chine à l’UPC.
Néanmoins, pour justifier sa nouvelle posture vertueuse, la Chine va procéder à une réorientation évergétique de son capital technique et technologique. En effet, la Chine va mettre ses prestations techniques et technologiques à contribution en participant dans la région septentrionale du pays à la réalisation aussi bien du barrage hydroélectrique de Lagdo en 1977, qu’à celle du Palais des Congrès de Yaoundé, inauguré en 1982. Bien plus, il faut voir dans la signature d’un protocole d’accord relatif à l’envoi par la Chine d’équipes médicales dans les villes de Mbalmayo, Guider et Yaoundé, signé le 9 juin 1975, des formes renouvelées de la posture morale et vertueuse chinoise. Il y’a également dans cette nouvelle posture vertueuse et soucieuse, une volonté chinoise d’affirmer et d’affermir sa volonté de se constituer (par opposition à son passé radical et subversif) comme une puissance politico-morale qui, va utilement tirer parti du rôle de relance et d’assistance joué par ses prestations technologique et technique surtout dans les domaines de l’agriculture et de la santé.
c- 1980-1999 : Hibernation des relations sino-camerounaises et inscription technologique chinoise latente
Malgré les visites du président Camerounais Paul Biya en Mars 1987 et Octobre 1993 en Chine et même celle du Premier Ministre chinois Li Peng au cours de l’année 1997, l’engagement technologique chinois au Cameroun est en hibernation. En effet, alors que la Chine populaire est davantage concentrée sur l’évolution politico-économique endogène et ses réformes, le Cameroun quant à lui subit de plein fouet non seulement les hoquets de la démocratisation et l’étau de la privatisation en lien avec les programmes d’ajustement structurels. Le tout, sous le contrôle et la pression des institutions de Bretton Woods (Touna Mama ; 2008)
Incidemment, si dans le secteur de la santé cela se manifeste entre 1980 et 1985, par la suspension du séjour des équipes médicales chinoises, sur le plan agricole, la Chine limite voire stoppe ses financements et rétrocède la ferme pilote de Nanga-Eboko à l’État du Cameroun. Si le retour au pays des techniciens chinois est précédé par la destruction du matériel et de la production agricole à Nanga-Eboko, la ferme finit par tomber à l’abandon. On voit alors que, dans un contexte où, le Cameroun est soumis aux pressions néolibérales de la part du FMI et de la Banque mondiale, ce départ aux allures de retrait symbolique est temporaire visait en réalité à observer de loin l’occident manœuvrer en attendant le bon moment pour revenir au Cameroun. De cette façon, pour une Chine lancée dans une vague de réformes internes, il est question de « partir pour mieux revenir ».
d- Depuis 2000 : Redynamisation des relations sino-camerounaises, ambitions développementalistes et engagement technologique chinoise densifiée
La Création de la China Development Bank et de l’Exim Bank of China en 1994, la politique du (going out) de Jiang Zemin en 1995, la tenue du premier Forum de coopération sino-africain (Beijing), en 2000, l’entrée de la Chine au sein de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) en 2001 ainsi que l’ambition développementaliste du Cameroun vont participer à redynamiser des relations nourries par un flux intense de visites et de réalisations. Si c’est effectivement à partir de 2006, lors du troisième Focac à Pékin que vont se mettre en place les conditions de modernisation de l’inscription technologie chinoise au Cameroun, c’est avec la visite à Pékin, du siège et des installations de Huawei Technologies Company Limited ainsi que de StarTimes Software Technology Co, Ltd par le chef de l’Etat en mars 2018 que les conditions d’intensification des prestations technologiques chinoises vont s’opérer au Cameroun. Compte tenu de l’intensité croissante des dynamiques technologiques chinoises au Cameroun ainsi que de l’impossibilité d’en couvrir l’ensemble, nous avons été amenés à en sélectionner des secteurs prioritaires.
Ainsi, dans le secteur agricole, l’on note la signature le 10 janvier 2008 d’un protocole d’accord pour la construction par Shaanxi Agrobusiness Corporation d’un Centre d’Application des Technologies Agricoles au Cameroun (CATAC). Le secteur de la communication est aussi concerné, avec la signature le 29 Août 2017, relatif à la réhabilitation de technique par StarTimes Software Technology Co, Ltd de l’office nationale de radio diffusion. Par ailleurs, la mise en œuvre en Janvier 2017 du projet de Réseau National des Télécommunications d’Urgence par ZTE Co. Ltd. Le domaine énergétique pour la fourniture de solutions uniques et innovantes d’énergie électrique de sources photovoltaïques, adaptées aux zones rurales par Huawei Technologies Co. Ltd à travers le Solar Project. Le domaine sécuritaire n’est pas en reste à travers la mise en exécution dès février 2017 du projet « Cameroon Intelligent City Project » par Huawei Technologies Co. Ltd relatif à l’installation des caméras de vidéosurveillance dans les dix chefs-lieux de régions mais aussi, la fourniture, le paramétrage et la mise en service des équipements de vidéosurveillance de quatrième génération à différents sites retenus pour le Championnat d’Afrique des Nations (CHAN) 2020 et la Coupe d’Afrique des Nations (CAN) 2021.
Au total, il appert qu’une lecture évolutive du déploiement technique et technologique chinois au Cameroun ne peut être possible qu’en prenant compte les ruptures et les continuités qui vont ponctuer la trajectoire de leurs relations au fil des années.
Dr. Auxence Augustin Koa, Enseignant/Chercheur/FSJP/Université de Bertoua/Fondation Paul Ango Ela