
Antoine Zanga : « Les relations sino-camerounaises sont l’une des expressions les plus accomplies d’une relation gagnant-gagnant »
Antoine Zanga Metili est Journaliste, Doctorant en Histoire des Relations Internationales, Chercheur au Centre d’ Études et de Recherches sur la Chine-Afrique (CERCA). A l’occasion du 54ème anniversaire de la coopération Chine-Cameroun, il a donné son point de vue sur les relations bilatérales entre les deux pays.
1- Depuis le 26 mars 1971, la République populaire de Chine et la République du Cameroun sont liées par des relations bilatérales dont les retombées sont aujourd’hui bénéfiques pour le Cameroun et positionnent surtout la Chine, puissance émergente sur la scène africaine. Quel est votre regard de cette coopération, 54 ans ?
En 54 ans, la coopération sino-camerounaise est telle qu’on ne se hasarderait pas à la mesurer au regard de l’immensité de son contenu et davantage de la richesse qu’elle regorge. Au plan politico-diplomatique, l’intensité des échanges diplomatiques révèle pas moins de 8 visites de présidents camerounais en terre chinoise, une fois pour Ahmadou Ahidjo en 1973, et le président Paul Biya en 1987, 1993, 2003, 2006, 2011, 2018 et 2024. Toutes les autres plus hautes autorités du Cameroun ont également foulé le sol chinois en visite officielle au moins une fois. De l’autre côté, les plus hautes autorités chinoises ont déjà effectué de nombreuses visites officielles au Cameroun. En janvier 2007, pratiquement au lendemain du Forum sur la Coopération Chine-Afrique (FOCAC) qui s’est tenu à Beijing en Chine quelques mois avant, en 2006, le président chinois, Hu Jintao ouvre sa tournée africaine avec une visite officielle au Cameroun. Le choix de commencer par le Cameroun renseigne sur le caractère stratégique du Cameroun pour la Chine en Afrique. Au mois de Mars 2010, JIA QINGLI, le Président de la Conférence Consultative Politique du Peuple Chinois (CCPPC) arrive en visite officielle au Cameroun, pour ne citer que ces deux cas.
Le domaine économique parle de lui-même : on a qu’à voir les volets sportifs, sanitaire, routier, agricole bref, il est difficile de présenter un secteur au Cameroun qui n’a pas encore bénéficié des financements chinois. On ne saurait oublier l’intensité et la diversité des échanges culturels entre les deux pays. Vous n’avez qu’à voir combien de fois l’intérêt des Camerounais pour l’apprentissage du Mandarin a augmenté. Aujourd’hui, l’Institut Confucius situé à l’université de Yaoundé 2 ne compte pas moins de 8 antennes à travers tout le pays. Les Camerounais sont bien conscients que le monde vit actuellement un déplacement progressif du leadership mondial de l’Ouest vers l’Est et donc qu’il convient de s’y arrimer dans le sens que disait l’ancien président du Zimbabwe, Robert Mugabe en 2005 à savoir qu’ “il faut se tourner vers l’Est là où se lève le soleil et tourner le dos à l’Ouest là où il se couche”. Enfin, nul ne saurait nier l’inflation de la gastronomie chinoise avec au moins 5 restaurants chinois à Yaoundé et bien d’autres à Douala : le Pr Jean Emmanuel Pondi parle de “diplomatie de la gastronomie” lorsqu’il présente cette importante évolution de la gastronomie chinoise au Cameroun. Les relations sino-camerounaises sont donc l’une des expressions les plus accomplies d’une relation gagnant-gagnant actuellement sur la scène internationale.
2- Depuis plus d’une décennie, cette coopération est portée par l’initiative « la Ceinture et la Route » et en septembre 2024 à Beijing lors du Sommet de Forum sur la Coopération Sino-Africaine (FOCAC) le président chinois Xi Jinping et son homologue camerounais l’ont élevé au rang de partenariat stratégique global. Comment comprendre cette progression ?
Comme je l’ai dit plus haut relativement au choix bien pensé de Hu Jintao d’ouvrir sa tournée africaine de 2007 par le Cameroun, vous devez aussi savoir que, dans sa projection culturelle en Afrique, reconfigurée au cours de la tournée africaine du président Jian Zeming en 1996, c’est au Cameroun que la Chine décide de construire le tout premier Centre d’Apprentissage de la Langue Chinoise, CALC, en Afrique. Et, lorsque que ces centres sont transformés en Institut Confucius, le Cameroun est le deuxième pays en Afrique en 2007, après le Kenya en 2005, où la Chine construit un Institut Confucius. Les exemples comme ça je peux vous les citer à longueur de journée. En réalité, on observe un regain d’intérêt de la Chine pour le Cameroun dès l’entame du milieu de la décennie 1990 après le repli chinois des années 1980, mais, c’est plus concrètement dès l’année 2000 aux entrefaites de la reconfiguration de la Politique Africaine de la Chine à travers l’avènement du FOCAC, que les relations sino-camerounaise reprennent une nouvelle envergure. A côté de ça, il faut voir la position géographique du Cameroun qui offre à la Chine une projection au moins vers l’Afrique du Nord en passant par le Tchad, l’Afrique de l’Ouest et vers toute l’Afrique centrale. N’oubliez pas le Golfe de Guinée dont fait partie le Cameroun avec tout le pétrole qu’on retrouve. Enfin, le président qui a la plus grande somme d’expérience actuellement en Afrique se trouve au Cameroun, à savoir Paul Biya. Paul Biya est une sorte de sésame, c’est-à-dire, si vous voulez atteindre certains pays africains en ce moment sur le continent, vous êtes obligés de passer par Paul Biya. Le Cameroun bénéficie énormément de l’aide chinoise et va jouer un rôle très important dans le projet chinois “la Ceinture et la Route”, vous comprenez donc en quoi ce partenariat est aujourd’hui stratégique pour les deux partenaires.
3- Le 5 septembre 2024, le président Xi Jinping a annoncé dans son discours d’ouverture du Sommet de Beijing du FOCAC qu’au cours des trois prochaines années, la Chine sera disposée à travailler avec l’Afrique pour mettre en œuvre les dix actions de partenariat pour la coopération sino-africaine, afin de faire progresser la modernisation, d’approfondir la coopération sino-africaine et de diriger la modernisation du Sud global. Dans quelle mesure pensez-vous que cela puisse inspirer les pays africains en général et le Cameroun en particulier dans l’exploration d’une voie de modernisation adaptée à ses propres réalités ?
La Chine n’est pas aérienne. Elle n’est non plus une vue de l’esprit. Elle est une réalité. En d’autres termes, la Chine dans son histoire récente a simulé, expérimenté et construit un modèle qui a fait ses preuves en pratiquement un quart de siècle seulement si on s’en au fait que la reconfiguration de son économie n’est déclenchée qu’en 1978 par Deng Xiaoping, le deuxième successeur de Mao. C’est pratiquement l’un des rares pays sinon le seul pays au monde qui a réussi une telle prouesse en aussi peu de temps, avec son modèle et ses fonds propres. Ce qui signifie que la Chine devrait être une source d’inspiration permanente, un vade-mecum pour les pays africains parce que, pendant plus d’un demi-siècle, ils ont expérimenté un ensemble de thérapies suggérées et parfois imposées des partenaires traditionnels, sans succès ; au contraire, la situation s’est davantage aggravée. La Chine est pragmatique, elle ne s’encombre pas de longs et de beaux discours comme certains. Elle fait ce qu’elle dit et elle dit ce qu’elle fait. Des pays comme le Cameroun qui aspirent à l’émergence ont tout intérêt à suivre la voix chinoise car, les conseils de la Chine peuvent s’avérer plus efficaces.
4- Ces dernières années, les formes d’échanges et de coopération entre la Chine et le Cameroun se sont diversifiées. La coopération et les échanges de plus en plus approfondis ont permis de renforcer la compréhension mutuelle et d’approfondir l’amitié entre les peuples chinois et camerounais. Comment entrevoyez-vous l’avenir de la coopération Chine-Cameroun ? Que suggérez-vous de nouveau dans la coopération sino-camerounaise ?
La coopération Sino-camerounaise a forcément de beaux jours devant elle au regard de sa densité et de sa diversité. Nous pouvons suggérer aux gouvernants camerounais de voir dans quelle mesure ils peuvent introduire l’enseignement de l’histoire récente de la Chine dans le système éducatif, avec une focalisation sur les mécanismes utilisés par ce pays pour réussir son développement. Il y a aussi lieu pour les autorités des deux pays, de voir comment faire pour améliorer le volet social. Autrement dit, la prise en compte de l’expertise et de la ressource humaine camerounaise au sein des entreprises chinoises au Cameroun car, de plus en plus ces derniers pensent que les conditions de travail sont nettement meilleures dans les entreprises occidentales qui exercent au Cameroun. Les Chinois présents au Cameroun devraient faire plus d’efforts en termes d’intégration car ils un peu trop fermés. Enfin, je crois qu’il est temps que la Chine fasse des investissements à long terme qui produisent plus de valeur ajoutée. Cela permettra de donner plus de sens et d’essence à la dynamique stratégique de ce partenariat gagnant-gagnant. Elle a tout intérêt car, son statut le lui impose.
Entretien mené par Gérard Njoya