Pr Aymard Cyrille BEKONO : « La conférence donne à constater que la présence chinoise en Afrique centrale francophone est diversement appréciée par les populations de cette sous-région »
Les relations sino-africaines en général ont longtemps été fondées sur la longue amitié et revisitées sur la dynamique gagnant-gagnant. Au Cameroun, pays important de l’Afrique centrale, la percée économique chinoise depuis une vingtaine d’années est visible. Elle a hissé le pays au rang des acteurs incontournables de la scène africaine. Seulement, la montée exponentielle de la toute puissante Chine au Cameroun suscite de nombreuses interrogations et stimule des réflexions. Si d’aucuns la considèrent comme pacifique et graduelle, d’autres en revanche associent sa croissance à une vaste stratégie d’investissement des grandes entreprises appuyées par une diplomatie particulièrement active du gouvernement chinois au Cameroun, portée par la rhétorique du « gagnant-gagnant ». Une conférence-débat sur les rouages de cette coopération a été organisée au Cameroun par la SAC-CERDIA-RECAF. Le Pr Aymard Cyrille BEKONO, Enseignant-Chercheur au Département d’Histoire de l’Université de Yaoundé 1 et président cette plateforme donne les raisons et conséquences de cette rencontre scientifique des Experts et acteurs de la coopération Chine-Afrique.
Une conférence-débat sur la Chine vue des peuples d’Afrique centrale francophone : regards croisés, a eu lieu en après-midi du mercredi 14 juin 2023 dans l’amphithéâtre de l’Ecole normale polytechnique de Yaoundé. Qui a organisé les échanges et pour quel but ?
La Conférence-Débat qui se tint le 14 juin 2023 dans la salle des Actes de l’Ecole Nationale Supérieure Polytechnique de Yaoundé, de 15h00 à 18h30, fut organisée par la Plateforme SAC-CERDIA-RECAF, avec l’appui du réseau international de recherche Chinese in Africa / Africans in China (CA/AC). La Sino-African Confluences (SAC), créée par arrêté N°000068/A/MINAT/SG/DAP/SDLP/SA/CBA du 29 juin 2022, se positionne comme un Think Tank dont le seul but est d’appréhender les relations sino-africaines sous le prisme de la recherche scientifique. La SAC s’est dotée d’un Centre d’études et de recherches sur les dynamiques internationales africaines (CERDIA) et d’un Réseau d’Experts Chine-Afrique Centrale Francophone (RECAF), formant ainsi la plateforme SAC-CERDIA-RECAF.
Le but de cette conférence était d’édifier les participants sur les rouages de la coopération sino-africaine. Nous avons constitué un panel d’experts de haut niveau dont la réputation transcende les frontières nationales. Il s’agit notamment des Professeurs Jean Emmanuel Pondi, Mathias Eric Owona Nguini, Willibroad Dze-Ngwa, Armand Leka Essomba, Philippe Blaise Essomba, S.E. Paul Batibonak.
En réalité, nous avons constaté que, contrairement à la partie chinoise, la communauté universitaire d’Afrique centrale francophone accorde peu d’importance à l’étude du partenaire chinois. Pourtant, il est établi que la connaissance de l’autre est un élément capital dans les relations internationales. Comment allons-nous mieux défendre nos intérêts face à ce géant de l’économie mondiale si nous ignorons les logiques fondamentales de sa politique africaine ? Donc, les activités de notre plateforme visent l’édification scientifique des Africains sur les réalités de la coopération avec la République Populaire de Chine.
Vous aviez été vu dans les mouvements de cette rencontre scientifique. Principalement, quel a été votre rôle pour cet événement ?
Notre rôle, en qualité de président de la Plateforme SAC-CERDIA-RECAF, est celui d’un chef d’orchestre. Essentiellement, nous avions assuré la conception et l’implémentation de toutes les articulations nécessaires à la tenue de cette conférence-débat. Nous pensons particulièrement au choix du thème de la conférence, l’invitation des conférenciers, l’obtention de l’autorisation de tenir l’événement au sein du campus de l’Université de Yaoundé 1 et surtout le parrainage du Recteur de cette institution, le Professeur Maurice Aurélien Sosso. Il convient de relever et remercier l’implication appréciable de tous les membres et sympathisants de notre plateforme pour la réussite de la conférence.
Pourquoi avez-vous choisi le cas de l’Afrique centrale francophone ?
Le choix du thème de cette conférence-débat tient du fait que les relations sino-africaines sont très anciennes et, au début de la décennie 2000, elles vont s’intensifier sous le couvert du partenariat « gagnant-gagnant ». La Chine, dès lors, se positionne comme le partenaire privilégié de la plupart des Etats africains, grande pourvoyeuse de prêts financiers, d’infrastructures et d’échanges universitaires. Ainsi répond-elle aux besoins de transformation de l’Afrique. Seulement, ce dynamisme de la coopération sino-africaine est davantage stator-centré. La société civile semble alors se plaire à jouer le rôle d’observateur presque passif. Pourtant, la vitalité de cette coopération Sud-Sud se renforcerait par l’accompagnement des peuples. Pour cette raison, nous avons mis l’emphase sur le regard des peuples africains sur cette coopération avec la Chine.
Les peuples de l’Afrique centrale francophone ont été choisis comme indicateur d’appréciation pour deux raisons. D’une part, le Réseau d’experts Chine-Afrique centrale francophone (RECAF) est une structure de la plateforme qui s’intéresse à la présence et aux activités chinoises dans cet espace francophone. D’autre part, cet espace est en Afrique un exemple qui montre à suffisance comment l’offensive chinoise bouscule les dynamiques de coopération ancienne, notamment l’influence de la France dans cette sous-région.
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Quel a été l’apport particulier de l’Ambassade de Chine pour la tenue de cette Conférence-Débat ?
L’Ambassade de Chine au Cameroun n’a pas été impliquée dans l’organisation de cet événement scientifique. Nous pensons même que les autorités chinoises ont eu connaissance de l’existence de la plateforme SAC-CERDIA-RECAF par le biais de l’invitation que nous leur avions adressée, quelques jours avant la conférence. C’est l’occasion pour nous de remercier Monsieur l’Ambassadeur de Chine au Cameroun qui a bien voulu nous honorer par la présence de son représentant. Nous osons croire que cela marque le début d’une collaboration fructueuse entre la plateforme et la représentation diplomatique chinoise au Cameroun, notamment dans le domaine de la production et la diffusion des savoirs sur la coopération sino-camerounaise.
Avez-vous eu le sentiment d’avoir atteint les objectifs établis au départ pour cette conférence-débat ?
Notre objectif de départ était d’avoir une forte audience qui puisse bénéficier du savoir des conférenciers invités. A l’issue de la conférence, nos impressions sont très positives. La haute qualité d’expertise de nos conférenciers a suscité un engouement inoubliable dans les communautés universitaire, diplomatique, journalistique, et bien d’autres encore. Nous avons enregistré, en présentiel, une participation de 400 invités dont une frange importante était constituée des jeunes. Aussi, l’événement était retransmis en direct sur la page Facebook de la plateforme SAC-CERDIA-RECAF. Plusieurs membres du réseau international de recherches Chinese in Africa/Africans in China (CA/AC) avaient suivi la conférence depuis l’Europe, la Chine, les Etats-Unis et l’Afrique. Les nombreuses félicitations à nous adressées par les participants, pendant et après la conférence, témoignent également de l’atteinte de notre objectif de départ. Aussi avons-nous gagné en visibilité auprès du grand public.
En fait, qu’est-ce qui ressort de ces échanges ? Cette question recherche les grandes lignes du communiqué final de cette Conférence-Débat.
La conférence donne à constater que la présence chinoise en Afrique centrale francophone est diversement appréciée par les populations de cette sous-région. Certains Africains se félicitent des résultats de la coopération sino-africaine. D’autres, par contre, s’en méfient, voyant la Chine comme une puissance qui voudrait coloniser l’Afrique.
D’une manière globale, la conférence a présenté les ressorts et les opportunités pour le développement des deux parties. Comme une grande première, les analyses sur les profondeurs historiques, les contours sociologiques, la réalité stratégique et l’expérience diplomatique s’inscrivent sur l’angle de la construction d’un partenariat réaliste et bien calculé pour les peuples africains. Ce qui leur permettra de capitaliser leur potentiel de manière mesurée dans la relation avec la Chine. Il revient donc aux Etats d’Afrique centrale de cultiver plus de patriotisme pour tirer le maximum de profit dans cette coopération Sud-Sud qui se veut « gagnant-gagnant ».
Quelles sont les perspectives pour les jours à venir ?
En rapport avec les missions de notre plateforme, nous prévoyons, dans le cadre de l’animation scientifique, l’organisation d’autres activités (colloques, journées d’étude) sur les dynamiques internationales africaines. Pour ce qui est de la production des savoirs sur la coopération sino-africaine, nous envisageons, d’ici quelques mois, la publication d’un ouvrage scientifique et pluridisciplinaire sur la présence chinoise en Afrique centrale. L’appui à la recherche est aussi une de nos priorités. Il y a quelques mois notre plateforme a attribué une bourse de recherche en Master sciences sociales et humaines, d’une valeur de 800 000 FCFA, à une étudiante camerounaise, au terme d’une procédure d’évaluation de 48 candidatures en provenance du Tchad, Gabon, RCA, Congo, Burundi et Cameroun. Nous comptons renouveler cette forme d’assistance aux jeunes chercheurs.
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Particulièrement, quelle appréciation faites-vous des échanges entre la Chine et le Cameroun ?
La réponse à cette question dépend de l’aspect de la relation sino-camerounaise que l’on voudrait mettre en relief. D’une manière générale, nous pensons que le dynamisme de cette coopération répond aux attentes des deux parties. L’Etat du Cameroun obtient de la Chine, sans trop de contrainte, les capitaux nécessaires pour son développement. La Chine, de son côté, reçoit les matières premières et les débouchés dont elle a besoin pour le fonctionnement de son industrie. Toutefois, l’approche fortement institutionnelle de cette relation mériterait d’être renforcée par l’implication des populations. Dans ce sens, nous appelons au dynamisme des organisations de la société civile et de la communauté universitaire.
Propos recueillis par Gérard N. & Sandrine N.