Exclusif : « Il n’est donc exagéré de placer la coopération sino-africaine de façon générale sous le signe de la fidélité et de la fraternité », Fabrice Onana Ntsa, Historien et Spécialiste des questions Chine-Afrique
1- Sous quel signe placez-vous la récente visite du vice-premier ministre chinois en terre camerounaise ?
Le vice-premier ministre chinois Liu Guozhong, membre du bureau politique du Comité Central du Parti Communiste Chinois a séjourné au Cameroun du 17 au 18 janvier dernier. Cette visite s’inscrit dans un double cadre. Il s’agit premièrement de l’usage d’un instrument institutionnel de la coopération entre la Chine et le Cameroun, plus précisément, un organe de suivi. En effet, les rencontres entre officiels chinois et camerounais constituent toujours des moments privilégiés de l’évaluation et la projection de la coopération entre les deux Etats. Par ailleurs, il faut voir dans cette visite, la perpétuation d’un rituel de la diplomatie présentielle chinoise en Afrique en général. Depuis le succès mémorable de la tournée en Afrique de Zhou Enlai alors Premier Ministre, accompagné de son Ministre des affaires étrangères Chen Yi de décembre 1963 à février 1964, la Chine a pris pour habitude d’envoyer ses hautes personnalités chaque mois de Janvier depuis 1991, faire le tour du continent africain. Tour du propriétaire ou pas, toujours est-il que cet habitus diplomatique chinois est ancien et il ambitionne de resserrer les liens avec l’Afrique. Cette année, c’est le Ministre des affaires étrangères Wang Yi qui a ouvert le bal du 13 au 18 janvier, en visitant l’Egypte, la Tunisie, le Togo et la Côte d’Ivoire.
2-En perspective, quelle lecture faites-vous de cette visite ?
Il faut s’attendre au renforcement de la relation entre la Chine populaire et le Cameroun. Ce type de visite permet de raffermir les relations d’amitié et de coopération entre la Chine et ses partenaires africains, et bien sûr, de se projeter sur l’embellissement de celles-ci. Depuis quelques années, la Chine est un partenaire très important du Cameroun et elle compte bien le rester. Son soutien au développement de notre pays est palpable. Les grands projets de construction des infrastructures routières, autoroutières, énergétiques, sanitaires et sociaux continuent de bénéficier du concours de la diplomatie du chéquier et du portefeuille de Pékin. L’illustration la plus actuelle de la fécondité de la relation Chine – Cameroun est l’édification du nouvel immeuble-siège de l’Assemblée Nationale à Yaoundé qui commence à prendre forme. On va donc s’attendre, comme à l’accoutumée, à une bonification du partenariat entre les deux pays, avec certainement du côté chinois, la volonté de faire davantage du ‘’gagnant – gagnant’’, plus une réalité qu’un simple slogan, et en gommant évidemment sans cesse les points qui ternissent le visage de cette coopération utile.
3- Vous faisiez une lecture ancienne et traditionnelle de cette visite qui coïncide pour cette année 2024 avec le 9e Sommet du Forum sur la coopération sino-africaine (FOCAC) en cours de préparation. Peut-on faire en cela, une lecture parallèle ?
Il est probable que le dignitaire du bureau politique du PCC et les autorités de la République du Cameroun, à sa tête le Président de la République, aient évoqué le 9éme sommet du Forum sur la Coopération Sino-Africaine qui se tient vers la fin de cette année en Chine. On peut évidemment s’imaginer une invitation du Président Xi à l’endroit de son homologue. L’importance du FOCAC dans les relations Chine-Afrique n’est plus à démontrer. C’est le principal outil de la diplomatie multilatérale chinoise en Afrique qui a permis progressivement à l’Empire du Milieu de monter sa stratégie africaine et de démonter ici, l’influence occidentale. C’est un moment important, unique même pour les autorités chinoises de s’adresser à l’Afrique toute entière, avec en ligne de mire le resserrement des liens, le renforcement de la coopération et la possibilité des rencontres présentielles. Compte tenu ainsi de l’importance de ce moment qui n’intervient qu’après 3 ans et au regard du contexte sanitaire difficile dans lequel s’est tenu le précèdent sommet de Dakar, il est plausible que les assises de Pékin prévues pour cette fin d’année aient véritablement occupé quelques minutes des échanges que Liu Guozhong a eus avec Paul Biya et Joseph Dion Nguté.
4-Au regard de l’évolution de temps, c’est quoi le signe de coopération sino-africaine, Chine-Cameroun en particulier ?
Je pense que depuis peu, le monde est entré dans une dynamique des incertitudes. Les foyers de tension se multiplient, les risques d’une escalade de violence à grande échelle sont réels et la configuration de la multipolarité se précisent. En tant qu’africain, l’idéal serait de voir le berceau de l’humanité s’imposer véritablement comme une réalité géopolitique crédible capable d’intégrer le futur conglomérat de la gouvernance mondiale en tant qu’acteur clé ayant droit au chapitre. Pour le moment et en attendant l’émergence de cette Afrique-là, la République Populaire de Chine reste évidemment le meilleur risque sur le plan international et ses faits d’arme à travers tout le continent sont là pour le prouver. Il n’est donc exagéré de placer la coopération sino-africaine de façon générale sous le signe de la fidélité et de la fraternité.
- La fidélité de l’Afrique à un partenaire qui est resté constant dans la relation avec elle. Un partenaire qui a su modifier le logiciel des relations internationales sur le continent en mettant l’accent sur le respect, la dignité et la résolution concrète des problèmes de développement. La fidélité de la Chine Populaire à un continent qui a su être une bouée de sauvetage diplomatique pour les communistes rouges de Pékin.
- Dans un monde aux égoïsmes et replis avérés, la notion de fraternité semble être galvaudée. Pourtant c’est une constance des relations sino-africaines. Placer ces relations sou le signe de la fraternité confirme le fait que l’Afrique peut compter sur la Chine surtout en ces temps de contingences. La proximité idéologique, politique et l’histoire valident une relation Chine – Afrique particulière et l’on peut dire avec Randall Schweller et sa théorie néoréaliste du Bandwagoning que, l’Afrique, alliée à la Chine, est certaine de s’assurer une certaine sécurité.
Propos recueillis par Gérard Njoya & Sandrine Namen