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Pr Léon Nkolo : La Chine et l’Afrique constituent une seule et même entité civilisationnelle

La République populaire de Chine et la République du Cameroun sont liées par des liens de relations diplomatiques depuis le 26 mars 1971. 54 ans après, notre journaliste Gérard N., a échangé avec le Pr Léon-Marie Nkolo Ndjodo, diplômé de l’Université normale du Zhejiang (ZJNU), Chine et aujourd’hui, enseignant à Université de Maroua, Cameroun sur cette coopération exemplaire dans le Sud global.

Pr Léon-Marie Nkolo Ndjodo, diplômé de l’Université normale du Zhejiang (ZJNU), Chine et aujourd’hui, enseignant à Université de Maroua, Cameroun

1- Le 26 mars 1971, la République populaire de Chine et la République du Cameroun sont liées par des liens de relations bilatérales dont les retombées sont aujourd’hui bénéfiques pour le Cameroun et positionnent surtout la Chine, puissance émergente sur la scène africaine. Quel est votre regard de cette coopération, 54 ans après ?

Le 26 mars 1971, la Chine et le Cameroun ont noué des relations diplomatiques. Elles formalisaient par cet acte des liens qui remontaient à la période de la lutte anticoloniale, moment au cours duquel la Chine appuya idéologiquement et militairement l’Union des Populations du Cameroun (UPC), ouvrant ainsi la voie à l’indépendance de notre pays. Depuis lors, la coopération entre la Chine et le Cameroun s’est étendue pour couvrir des domaines variés tels que l’agriculture, la santé, les infrastructures, les mines, la défense, l’industrie, le commerce, les médias et la communication, la culture, l’éducation. Depuis la visite du Président Paul Biya à Pékin en 2008, les relations entre la Chine et le Cameroun ont franchi un nouveau cap, la part des investissements chinois au Cameroun ayant sensiblement augmenté.

Dès 2013, la Chine a apporté un appui financier et technique massif à la politique des «Grandes Réalisations» du gouvernement camerounais qui ambitionnait de créer les conditions du décollage économique du Cameroun à travers un ambitieux plan de développement industriel (PDI) destiné à conduire le pays pour l’émergence à l’horizon 2035. À cet effet, de grands travaux d’infrastructures ont été financés ou réalisés par des groupes chinois, certains autres sont en cours. On peut citer entre autres: les autoroutes Yaoundé-Douala, Yaoundé-Nsimalen et Kribi-Lolabé; la route Soa-Esse; le port en eaux profondes de Kribi; le barrage hydro-électrique de Memve’ele; les hôpitaux gynéco-obstétriques de Douala et Yaoundé; le chemin de fer Kribi-Nabéba; l’alimentation en eau potable de dix villes dans les dix régions du Cameroun, l’immeuble siège de l’Assemblée nationale inauguré le 30 Novembre 2024, etc. En 2014, la Chine est devenue le premier investisseur étranger et le premier partenaire économique et commercial du Cameroun dans un esprit de respect mutuel, de partenariat gagnant-gagnant et d’intérêts réciproquement bénéfiques. Selon le rapport de la China Africa Institue Reseach Initiative (CARI), publié en juin 2016 par l’Université américaine John Hopkins, le Cameroun a capté au cours de la période 2000-2014 une enveloppe globale de 2.8 milliards de dollars (1540 milliards de FCFA) de financements chinois, se classant au deuxième rang de la CEMAC et au neuvième rang en Afrique. En marge du sommet du FOCAC de 2018 à Pékin, le Cameroun a signé le Mémorandum d’Entente sur l’Initiative la Ceinture et la Route (ICR) par laquelle elle rejoint le mégaprojet chinois de connectivité mondiale par les infrastructures encore appelé les Nouvelles Routes de la Soie. Le 30 mai 2023, la Chine a octroyé au Cameroun un nouveau prêt de 18000 milliards de FCFA dans le cadre de l’ICR à l’effet de booster sa Stratégie Nationale de Développement 2020-2030.

Sur le plan sanitaire, la Chine, en dehors de la construction d’infrastructures hospitalières et d’une présence en matière de médecine traditionnelle chinoise (acupuncture), a fourni au Cameroun durant la pandémie de la Covid-19 une assistance massive en matériel médical (gants, eau de javel, masques de protection, seringue, médicaments, etc.). Sur le plan de la défense, le Cameroun continue de bénéficier de la part de la Chine d’un appui substantiel en formation des cadres militaires et fourniture du matériel de combat. Sur le plan culturel et éducatif, les relations sino-camerounaises ont connu une croissance exponentielle dans le domaine de l’enseignement secondaire et supérieur. Quelques faits témoignent de l’excellence de ces liens de coopération: la création d’un Institut Confucius au Cameroun chargé d’apprendre le mandarin et la culture chinoise aux jeunes camerounais, l’octroi de bourses du gouvernement chinois aux jeunes camerounais désireux de poursuivre leurs études en Chine, l’accueil de contingents d’enseignants chinois dans les universités camerounaises et d’enseignants camerounais dans les universités et institutions de recherche chinoises (CASS, Institut Chine-Afrique).

2- Depuis plus d’une décennie, cette coopération est portée par l’initiative « la  Ceinture et la Route » et en septembre 2024 à Beijing lors du Sommet de Forum sur la Coopération Sino-Africaine (FOCAC), le président chinois Xi Jinping et son homologue camerounais l’ont élevée au rang de partenariat stratégique global. Comment comprendre cette progression ?

Lors du 4e Forum sur le Coopération Chine-Afrique de septembre 2024, les dirigeants africains et le dirigeant chinois ont décidé d’élever leurs relations au niveau du partenariat stratégique global. Un tel concept implique une coordination globale et une synergie de décisions et d’actions aux niveaux économique, politique, diplomatique, social, culturel, technologique et écologique entre la Chine et l’Afrique. Le partenariat stratégique global marque une avancée qualitative décisive dans la trajectoire des relations sino-africaines, car il appelle à un développement coordonné entre la Chine et l’Afrique en rupture avec les plans précédents qui tablaient sur un développement séparé et une approche plus sectorielle. Désormais, les partenaires chinois et africains  alignent  leur développement sur des besoins, des normes et des objectifs communs. En s’orientant vers la création d’une communauté de destin partagé de haut niveau entre la Chine et l’Afrique dans la nouvelle ère de la globalisation économique marquée par l’accélération de la modernisation chinoise, ils agissent comme si la Chine et l’Afrique constituaient une seule et même entité civilisationnelle, une aire géo-civilisationnelle intégrée: la civilisation afro-asiatique appelée de tous ses vœux par la Conférence de Bandung de 1955 et d’éminents intellectuels comme l’Afro-américain W.E.B Dubois dans son Discours à l’Université de Pékin en 1959. C’est dans le sillage de cette nouvelle communauté de destin partagé fondée sur la modernisation réciproque sino-africaine que se situe le Président Paul Biya lorsqu’il appelle la Chine à s’impliquer fortement dans le financement de la Vision d’émergence 2035 du Cameroun. Cette implication de la Chine devra se faire à travers: un appui soutenu de la Chine à la transformation des matières premières au Cameroun nécessaire au développement industriel, une participation active du secteur privé et de l’Etat chinois dans les projets structurants de deuxième génération au Cameroun (2e phase de l’autoroute Douala-Yaoundé; routes Douala-Bafoussam, Ngaoundéré-Garaoua, Maroua-Kousséri, etc.), un soutien militaire de haute qualité de la Chine au Cameroun axé sur la livraison de matériels militaires modernes, des conventions de financements avec Eximbank China dont les clauses seront exemptes de toute ambiguïté pour éviter les incompréhensions qui sont parfois de nature à ralentir l’exécution des projets, une coordination de tous les instants entre les deux pays sur les grandes questions internationales relative à la réforme des Nations Unies, la résolution des conflits, le changement climatique, un ordre mondial plus juste et multipolaire, etc.

3- Le 5 septembre 2024, le président Xi Jinping a annoncé dans son discours d’ouverture du Sommet de Beijing du FOCAC qu’au cours des trois prochaines années, la Chine serait disposée à travailler avec l’Afrique pour mettre en œuvre les dix actions de partenariat pour la coopération sino-africaine, afin de faire progresser la modernisation, d’approfondir la coopération sino-africaine et de diriger la modernisation du Sud global. Dans quelle mesure pensez-vous que cela puisse inspirer les pays africains en général et le Cameroun en particulier dans l’exploration d’une voie de modernisation adaptée à ses propres réalités ?

Après quatre de décennies de développement fulgurant conclu par l’édification de  la société de moyenne aisance (2022), la Chine est passée à la phase de la modernisation de haute qualité, prélude à l’édification d’un pays socialiste prospère, puissant et culturellement avancé. La modernisation de haute qualité est conduite par les nouvelles forces productives et les nouveaux facteurs de production de haute qualité que sont le développement digital, l’intelligence artificielle, la technologie de la 5G, les industries culturelles, l’économie du savoir et le développement vert.

En même temps, la Chine a réaffirmé le droit et les aspirations de l’Afrique à une modernisation propre basée sur ses caractéristiques sociales, économiques, culturelles et civilisationnelles. En clair, une modernisation autonome qui préserve son indépendance tout en jetant les bases d’un développement pacifique, d’une coopération mutuellement bénéfique et de la prospérité commune. Le Président Xi Jinping a clairement fait savoir dans son allocution que « sans la modernisation de la Chine et de l’Afrique, il n’y aura pas de modernisation du monde». La Chine ne peut se moderniser elle-même sans accomplir parallèlement la modernisation de l’Afrique qui est devenue son partenaire global stratégique. L’œuvre d’émancipation de la Chine a pour aboutissement logique l’émancipation de l’Afrique. La nouveauté depuis le 4e sommet du FOCAC est que la Chine considère que la modernisation de l’Afrique ne peut se réaliser que dans le cadre d’une grande vague de modernisation du Sud global. Ce plan de modernisation du Sud global dont la Chine entend prendre les commandes par des investissements massifs dans les pays émergents du Sud (qui constituent désormais près de la moitié du PIB mondial) constitue non seulement le nouveau cadre de référence de la coopération Sud-Sud, mais le nouvel horizon des relations sino-africaines.

4- Ces dernières années, les formes d’échanges et de coopération entre la Chine et le Cameroun se sont diversifiées. La coopération et les échanges de plus en plus approfondis ont permis de renforcer la compréhension mutuelle et d’approfondir l’amitié entre les peuples chinois et camerounais. Comment entrevoyez-vous l’avenir de la coopération Chine-Cameroun ?

En vérité, la modernisation conjointe de la Chine, de l’Afrique et du Sud global dans le cadre d’un vaste plan de développement industriel soutenu par l’Initiative « la Ceinture et la Route » (ICR) a pour fin de redéfinir la globalisation à partir des normes définies par le Sud en développement et les pays des BRICS+, et non par le bloc déclinant de l’Occident collectif. Cette modernisation du Sud global obéit aux caractéristiques suivantes: la justice et l’équité, car la modernisation du Sud global obéit toujours aux normes générales de la modernisation tout en explorant une voie originale fondée sur l’égalité; l’ouverture et le gagnant-gagnant, car elle est mutuellement bénéfique dans tous les domaines allant de l’agriculture à l’industrie en incluant le commerce, les investissements et les infrastructures; la primauté du peuple, car elle vise le plein et libre épanouissement de l’homme dans la sécurité, le bonheur, l’emploi, la prospérité et la culte intellectuelle; la diversité et l’inclusion, car cette modernisation du Sud plaide pour un développement coordonné des niveaux matériel et culturel, le respect de la coexistence inclusive et de la diversité des civilisations; le respect de l’environnement, car elle est basée sur le développement vert et l’accès équitable aux ressources; la paix et la sécurité, car c’est une modernisation qui assure le développement pacifique et stable.

C’est dans ce cadre de la modernisation conjointe du Sud global que la Chine et l’Afrique ont pris dix initiatives qui renvoient à leur volonté de créer une synergie dans laquelle devra naître une voie de développement indépendante et pacifique différente de la voie occidentale fondée sur le pillage et l’exploitation des autres peuples. En affirmant le droit inaliénable de toute nation à la modernisation, la Chine et l’Afrique plaident pour l’inspiration mutuelle entre les civilisations, la prospérité du commerce par l’ouverture complète des marchés, la coopération sur les chaines industrielles à travers le développement de la zone pilote industrielle Chine-Afrique, l’interconnexion des infrastructures terrestres et maritimes entre l’Afrique et la Chine pour un développement coordonné, la coopération pour le développement coordonné par les facilités de financement et l’annulation de la dette, un système d’alliance d’hôpitaux sino-africains, le développement de l’agriculture au bénéfice du peuple à travers la mise en place d’un réseau pour la modernisation agricole et d’une alliance sino-africaine pour le développement et l’innovation scientifique, etc.

En fin de compte, c’est une nouvelle ère de développement humain et de la civilisation mondiale qui s’ouvre avec la modernisation conjointe de la Chine, de l’Afrique et du Sud global. Le Cameroun est appelé à y prendre toute sa part dans sa quête d’une voie originale pour son développement et son progrès.

Interview dirigée par Gérard Njoya

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